mercredi 27 novembre 2013

Le Troisième Reich. Roberto Bolano. Folio.

Le troisième reich écrit par Bolano dans les années 1989 est un roman curieusement resté dans un tiroir et paru de façon posthume. Dans un univers d'un calme trompeur sur la Costa Brava, où résidait alors Bolano, le suspens et la fièvre prennent subtilement peu à peu le pas en développant de nombreux thèmes chers à l'auteur autour du rapport à l'écriture, au mal, à la violence et à la folie

Le roman se présente sous la forme d'un journal intime, qui relate deux mois de la vie d'un jeune allemand de 26 ans, Udo Berger, qui décide de passer des vacances d'été en Espagne, à l'hotel del Mar, avec sa fiancée, sur le lieu des vacances familiales de son enfance. Son projet est d'en profiter pour améliorer sa stratégie sur le jeu de plateau le troisième reich, une sorte de Risk sophisitiqué sur la deuxième guerre mondiale ( Bolano s'adonnait lui même dans la vraie vie à ce jeu), dont il est champion d'Allemagne, et d'écrire son journal pour améliorer son écriture sur les meilleures stratégies et les meilleures variantes.

Le roman déroule la torpeur de ses premiers jours de vacances de jeune arrogant sûr de son fait, de son bon droit, de ses certitudes de jeune homme aimé, heureux en apparance, jonglant avec la littérature et un savoir encyclopédique de façade sur la guerre tout auréolé de son prestige de champion. Mais les choses peu à peu s'enveniment, l'horizon ensoleillé s'assombrit, et avec la subtilité qui fait la force de Bolano, l'inquiétude monte peu à peu. Dans une eucharistie diabolique et alccolisée, au contact d'une trinité maléfique de jeunes espagnols, le loup, l'agneau et le brulé, et d'un autre couple d'allemands intrépides, délurés et d'apparence aussi victorieuse, les choses vont peu à peu se déliter. Une forteresse de pédalos fait front, les bars défilent et la fièvre monte.

Bolano nous promène dans ce qui pourrait sembler à première vue une sorte de roman noir, une histoire de détective comme ceux que lit Ingeborg, l'amie d'Udo. Sans jamais éclairer les choses de façon frontale, Bolano nous donne pourtant toujours assez facilement les clés plus subtiles qui éclairent sa réflexion. Le roman se passe dans les années 1989 avant la chute du mur de Berlin, dans une époque encore proche de la guerre, et certains personnages y ont participé. Ces deux couples sont les symboles de l'Allemagne qui cherche comment tourner la page et qui vit une terrible remise en cause, une violente crise de la quarantaine, pour expier ses péchés. Encore prétendument sûrs d'eux mêmes, les deux couples sont en fait à la dérive et à la recherche inconsciente du choc catharsistique qui pourrait les reconstruire. D'ailleurs Udo Berger qui se déclare amoureux et heureux, a choisi ce lieu pour essayer de retrouver Else l'hotelière dont il était secrètement amoureux autrefois, et lorsque l'engrenage viendra pour le broyer, il ne fera rien pour s'en extraire. Bien au contraire. Pour Charly, l'autre allemand, les vacances finiront par la mort, qu'il aura tout fait pour rechercher par ses outrances. Pour Udo par la défaite symbolique du jeu, et du pays, dont il était pourtant le champion, battu par le brulé, un sud américain sans expérience du jeu, mais porté par la force d'une revanche réelle contre les nazis qui l'ont torturé. De cette défaite Udo tirera une rédemption, en se reconstruisant en homme solitaire, mais humble et déniaisé. Ses derniers mots seront "J'ai quitté sans faire de bruit l'enceinte du congrés". Le brulé, lui, ne tirera pas avantage de sa victoire, montrant que la vengeance n'est pas une fatalité et que l'homme reste maître de son destin.

Jouant en permanence entre le rêve et la réalité, le jeu et la vie, la conscience et la folie, le réél et la littérature, Bolano déroule ainsi, avec une grande simplicité, un roman qui nous entraine avec bonheur et sans même y penser à une puissante réflexion sur le rapport de l'homme à son époque.