vendredi 31 juillet 2009

Les Séditions. Karl Mengel. M@nuscrits. Editions Léo Scheer.


Intrigué je l'étais.
A plusieurs titres.

Par la collection d'abord, pour avoir suivi du coin de l'oeil la tentative louable et néanmoins séditieuse des Editions Léo Scheer d' encadrer au forceps la naissance, par césarienne, d' une littérature de l'internet. Sans vouloir entrer dans des polémiques spécieuses, Mengel s'y rattache sans aucun doute. Son livre a, en effet, été précédé de la parution sur son blog , d'extraits du roman. De plus le world wide web se prête particulièrement bien aux intrigues et aux jeux de rôles qui font le coeur du propos de Mengel. Plus encore la lecture sur le net, instantanée et rapide, s'avère propice à l'écriture de chapitres courts et à la possibilité de naviguer, sans risque d'avoir perdu la trame, d'un passage à l'autre. Et de fait dans les Séditions ce n'est pas l'histoire qui compte mais plutôt l'ambiance, le ton. On notera aussi quelques références clins d'oeil mais compréhensibles seulement des initiés. Ainsi le héros écrit, de son propre aveu, de mauvais romans, sur le net (Permaphrodite, déjà publié en ligne et sur lequel l'auteur facétieux écrit "S'agissant du Permaphrodite de Cortès, chose étrange, je n'arrive pas à décider si l'on est en présence d'une daube ou d'un coup de maître - mais la lecture, courte, en vaut de toute façon le détour !), passe son temps sur le net... et sur le blog des Editions Léo Scheer...On notera, au passage, que pour publier dans la collection M@nuscrits, il faut parler de Marilyn Manson... Condition quasi sine qua non. Que ce chanteur soit un provocateur par excellence, dont le patronyme dédoublé reflète une icone du sexe et un tueur en série, né qui plus est à Canton...dans l'Ohio, ne pouvait pas non plus laisser Mengel indifférent.

Par le sujet ensuite. Pour le monde interlope des services secrets et la fascination des jeux de doubles et de masques qui lui sont propres. Notre héros s'y fond à merveille, vendant ses services à toutes les agences de la planète, au point de ne plus savoir qui il est. Et nous non plus parfois. Il y aurait de la vengeance dans l'air mais finalement notre héros ne se venge que de lui même. Quelques références sont explicites. Celles de Tom Clancy ou de John Le Carré par exemple. Mais contrairement à ces maîtres ès espionnage, le livre ne nous propose pas une histoire, mais plutôt des flashs, des poppers hallucinés qui nous conduisent sous drogue dure de pays en pays, de services très secrets en sévices kré kré méchants. L' écriture est lettrée, même si le propos la veut orale, provocatrice, précise et documentée. On se complait à se téléporter ainsi, dans des hoquets de sang et de foutre, d'Helsinki à Tokyo en passant surtout par la grosse pomme lustrée dans ses moindres recoins. Et quand on est simplement "quelque part" on comprend inconsciemment que c'est le flou même de ce quelque part qui nous donne les clés de l'énigme. Ou peut être pas. Un exercice virtuose de précision où l'on ressent le plaisir jubilatoire de l'écrivain à écrire son roman à tiroirs. On rentre facilement dans ce jeu sans fin, même si, dans un monde réel, le héros finirait au bout de dix pages dans la chape de béton d'un barrage du Huang He, après avoir laissé trois doigts dans la poche d'un yakusa tatoué sur la fesse droite. Ici le héros, malgré tous ses efforts ne meurt pas. Il renaît constamment de lui même dans la douleur.

A suivre ces pentes savamment vaselinées il y avait deux risques. Le risque de l'exercice de style, du beau mot pour lui même, du masque trop chamarré pour ne pas être clinquant, oublieux d'une proposition de substance de synthèse. (Où l'on saura pourquoi Karl Mengel ne peut être que le fils spirituel d'Alois Hiller. Et ce que devient Darla Bruni).Le risque aussi d'être abscons avec tant de strates et de niveaux de lecture que l'on pourrait tomber dans le private joke un peu trop privé. Et si le funambule ne tombe pas de son fil c'est à la verve jubilatoire qui le guide qu'il le doit.

Trichant avec les mots, ce ne sont pas des séditions que Mengel nous propose içi. Car ici point d'incitation à la désobéissance collective mais plutôt le voyage en solitaire d'un héros dopé au yabaa ( la drogue des soldats du Reich) mû par la volonté de repousser les limites hypocrites du monde qui l'entoure dans une ronde auto destructrice. Le héros hésite entre ses pulsions sadiques et sado-masochistes. Avec une petite préférence, pas complètement assumée, pour le coté sadique de la force. Car notre héros est quand même le plus intelligent et le premier de la classe. Mais comme un enfant bridé par un père trop parfait, il va tester toujours plus loin les limites du jeu de pistes qui l'entoure.

J'ai aimé monsieur Mengel. Ou devrais je dire monsieur Hiller ?
Plutôt que "Séditions" on aurait pu intituler cet ouvrage "Qui est, tue ? ". Pulitzer quand tu nous tiens !